Des pubs londoniens aux stades de Mexico, des clubs gothiques aux émissions de Michel Drucker, des chambres d’ados aux salons des darons, la musique de Cure a trainé un peu partout, sans arrogance ni prétention.
Du punk au post-rock en passant par la cold wave, la new wave, la noisy pop, la synthpop, le funk, le rock psychédélique, la techno et la dance, Robert Smith s’est essayé à peu près à tout ce qui était à sa portée, humblement, et la plupart du temps avec talent. 16 ans se sont écoulés depuis l’album de 2008 qui, s’il n’était pas dénué de quelques beaux morceaux, constituait un assemblage peu cohérent à la production hasardeuse. 16 ans sans albums pendant lesquels le groupe s’est dédié à la scène, enchainant entre 30 et 50 dates par an, rejouant sans cesse les mêmes ritournelles, mais toujours avec passion et intensité. Réjouissons-nous donc de la nouvelle cuvée qui, si elle n’est pas sans défauts, s’avère être la meilleure depuis Wish en 1992.
Le titre plante le décor : « Chansons d’un monde perdu ». Smith se sait vieux, se dit vieux. Il a perdu ses parents, son frère, de nombreux amis et même son idole et ami David Bowie. N’ayant pas eu d’enfant, il vit en éternel ado avec son épouse Mary Poole, rencontrée au lycée il y a 50 ans.
C’est donc un disque bien solitaire que ce nouvel album. Les textes sont directs et sans fard : « Je me demande comment j’ai pu devenir si vieux […] Qu’est devenu ce garçon et le monde qu’il pensait être le sien ? […] Je vais me fondre dans le temps, c’est pour bientôt […] Je suis quasi fini ». Le ton est donné. Et lorsqu’il parle d’amour, c’est pour espérer tenir la main de son épouse au moment où il mourra. La musique sert le propos, bien que souvent ampoulée, pompière ou trop précieuse. Mais les faux pianos clinquants, la batterie péplum et les dérives métalleuses de la guitare de Reeves Gabrels ne parviennent curieusement pas à ruiner ce bel album aux allures d’ultime gueule de bois. Robert n’a pas envie de faire dans la finesse. Et pourtant la finesse le rattrape. La composition est là, les idées aussi : la boucle de synthé en porte-à-faux sur Alone, les petits sons électroniques cachés de-ci de-là, la distorsion sur la basse, les solos smithiens qui arrivent à point nommé et enfin la voix beaucoup plus subtilement mixée que sur les trois albums précédents. Comme Bowie en son temps, Robert Smith nous ferait-il un vrai beau comeback de vieux ? Anthony